Francine Zeyen

POUPÉES DE CRIS

Espace Venta – Liège, mai 2010

POUPÉES DE CRISES, POUPÉES DE CRIS

carte à gratter / 9 x 9 cm

On ne range jamais vraiment ses poupées. Et même si elles dorment aujourd'hui sous des papiers de soie dans une caisse aux odeurs de talc et de violette, elles restent souvent présentes dans le grenier de notre mémoire.

Il arrive parfois, certains jours de pluie ou de silencieuse solitude, qu'on les exhume lentement. Avec des gestes précieux, ouatés de tendresse.

On retrouve alors la plus belle, celle aux longs cheveux bouclés, à la robe de dentelle, aux yeux de lune. Celle que l'on a posée tout au-dessus du carton pour éviter que les autres ne la brisent jamais.

On donne souvent des noms d'ange aux enfants qui jouent, nimbés d'une tendresse naïve. C'est oublier que les anges perdent très tôt leurs ailes. Bien sûr ont-ils longtemps câliné les mamans, les amies, les petites sœurs. C'est oublier qu'ils ont créé aussi les ignobles, les jalouses, les voleuses d'habits. Celles au regard affreusement fixe, au sourire nauséabond, à l'urticante peau trop douce. Les belles trop parfaites qui vous entraînaient dans la terreur. 

Poupées de crises, poupées de cris…

Alors, l'ange aux ailes perdues trouvait scalpels au bout des ongles, marteaux au cœur des poings. Tuait la mère trop admirable, brisait le père lointain. Voulait savoir si un cœur battait en cette poitrine de porcelaine, éviscérait les corps de coton et de laine. Eborgnait les yeux impassibles. Instillait de monstrueuses maladies dans chaque pore. Et l'ange aux ailes fanées en appelait aux cohortes des squelettes assassins, aux grands oiseaux de proie. Au carnage définitif.

Et toutes, les plus belles, les plus amies devenaient détestables. La maman devenait la mère, la vraie. Celle qui avait refusé la sucrerie. Et la sœur, la sœur, la vraie. La chipie chipeuse de bonbons. Et le gros bébé le père lourdaud qui ne parlait jamais. Même pas sous les coups. Même pas quand on lui fracassait la tête contre les murs.

Et alors, au milieu des larmes, on s'apercevait qu'à l'intérieur de ces corps bizarrement très froids, il n'y avait aucun os, aucun organe, aucune goutte de sang.

Alors, l'ange sans ailes devenait infirmière, soignait les blessés, les plaies à l'aide de papiers, de morceaux d'étoffes, de sparadrap et de mercurochromes bien rouges volés dans la pharmacie trop haut placée.

Et l'ange chrysalide assurait à la mère que la belle poupée était tombée dans l'escalier. Et la mère ne disait rien car elle avait, elle aussi, il y a longtemps, précipité sa préférée du haut des marches…

Alors, l'enfant redevenait papillon de paradis avant de se coucher au milieu de ses douces amies qu'elle embrassait, l'une après l'autre, avant de s'endormir en goûtant délicieusement son pouce…

Ce sont ces poupées-là, partagées entre l'amoureuse tendresse et l'inquiétante angoisse que Francine Zeyen nous invite à découvrir.

Car, finalement, on ne range jamais ses poupées. Jamais…

Joseph Orban, Liège, avril 2010